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« NGT : un vote en faveur du progrès biotechnologique agricole » interview de Catherine Regnault Roger

Le 24 janvier, le comité environnement du parlement européen se prononçait sur la réglementation concernant les NGT. Catherine Regnault Roger, membre de l’Académie d’Agriculture de France et de l’Académie Nationale de Pharmacie nous explique les modalités et les enjeux de se vote.

De European Scientist - 26.01.2024

www.europeanscientist.com/fr/opinion/ngt-un-vote-en-faveur-du-progres-biotechnologique-agricole-catherine-regnault-roger-interview/

The European Scientist : Pouvez-vous nous rappeler les enjeux de la proposition de loi ? Comment interpréter le résultat ?

Catherine Regnault Roger : l’enjeu de cette proposition de loi est de permettre une utilisation assouplie des nouvelles techniques génomiques (NGT, New Genomic Techniques) dans l’Union européenne (UE) appliqués aux végétaux en particulier la création de nouvelles variétés plus aptes à se défendre contre leurs bioagresseurs (insectes, maladies, mauvaises herbes) et de mieux s’adapter aux changements climatiques dans les territoires si divers au niveau géographique de l’Union.

Ces techniques dont les plus prometteuses se rangent dans la catégorie de l’édition du génome engendrent des modifications très légères (suppression d’une base par exemple) ou plus lourdes (remplacement d’une séquence génétique plus ou moins longue par une autre).  La plus populaire des techniques NGT est CRISPR/Cas qui associe une protéine à un ARN guide. Elle est la plus facile et la moins chère à mettre en œuvre.

De très nombreux pays des continents américain, asiatique et de la zone pacifique ont déjà adopté ces technologies NGT et mis en œuvre des réglementations spécifiques qui allègent considérablement les procédures d’homologation des produits ainsi obtenus (procédures qui peuvent coûter très cher à l’industriel), voire les en dispensant après examen du dossier. En conséquence la mise sur le marché de nouvelles variétés plus rapidement et à moindre coût [1].  Cette déréglementation concerne surtout les modifications du génome sans ajout d’ADN étranger à l’espèce.

L’Union européenne, qui doit réglementer les produits ayant été transformés par génie génétique selon la position rigide définie par l’arrêt de la Cour de Justice européenne du 25 juillet 2018, ne peut qu’appliquer strictement, à ce jour, la directive 2001/18 aux produits issus des NGT. 

C’est cette directive qui a carrément tué l’agriculture biotechnologique en Europe !  Avec l’aide des  mouvements militants de contempteurs qui ont profité par exemple du cadastrage des parcelles OGM cultivés imposé par la réglementation pour saccager ces champs !

 En fait, en révisant cette réglementation, en autorisant l’innovation biotechnologique de l’édition du génome avec une réglementation assouplie, c’est la souveraineté agro-alimentaire de toutes les agricultures européennes qui est en jeu, car la concurrence mondiale est féroce ! 

Le SAM (Scientific Advice Mechanism) qui regroupe les experts de haut niveau qui conseillent scientifiquement la Commission européenne a tout de suite, en novembre 2018, tiré la sonnette d’alarme ! Une initiative européenne lancée en 2019 par un groupe d’étudiants de l’Université de Waneningen aux Pays Bas aussi, car ils ont analysé que leur avenir d’agronomes et ou cadres de la protection de l’environnement allait en être affecté. Des études de l’OPECST (Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques), dirigées par le député Jean-Yves Le Déaut, et la sénatrice Catherine Procaccia, ont établi le même pronostic sombre.

C’est pourquoi, dès 2019, le Conseil de l’Europe a demandé à la Commission européenne d’enclencher une procédure de révision de la loi qui s’appliquerait aux NGT [2].

Mais la procédure européenne est lourde et met en œuvre plusieurs étapes : des études scientifiques du laboratoire européen JCR (Joint Research Center), des propositions de modification de la réglementation soumises à des enquêtes publiques, dont certaines ont d’ailleurs été victimes de cyberharcèlement avec la complicité des députés européens verts du groupe EELV/ALE opposés à cette révision !  Donc non seulement c’est un processus compliqué, mais c’est un processus qui a fait l’objet d’entraves et de lobbyismes intenses. 

Enfin à son terme, un projet de règlement pour les NGT a été soumis à la Commission environnement du Parlement européen présidée par le député Renew Pascal Canfin pour validation. Plus de 1200 amendements ont été déposés. La prochaine étape sera le vote en séance plénière du Parlement Européen si la commission a statué positivement.

C’est en effet le cas. Le vote exprimé le 24 janvier donne 47 voix pour le projet d’une réglementation allégée pour certaines catégories de plantes seulement, celles appelées NGT-1, contre 31 voix pour le maintien de la réglementation actuelle (la directive 2001/18) et 4 abstentions.

Ont voté en faveur de la révision réglementaire : en totalité ou en majorité les députés conservateurs (ECR), chrétiens-démocrates (PPE), libéraux démocrates (Renew 9 députés/10) et nationalistes (ID 5/7) ainsi qu’une minorité de députés sociaux-démocrates (4 députés/16). Ont voté contre :  tous les écologistes (Verts/ALE-10 députés), la Gauche (GUE-CNL- 6 députés) qui ont pris part au vote et  2 non-inscrits. Se sont abstenus deux députés ID, précisément les deux députés français du parti français Le Rassemblement national, ainsi qu’une députée Renew et un député socialiste. 

Ce vote démontre un choix de société en faveur ou en défiance des biotechnologiques dans leur dimension agricole et semencière. Les partis de droite et du centre soutiennent dans leur ensemble cette innovation pour l’agriculture tandis que les écologistes et la gauche la rejette.

TES. : Quelles sont les conséquences pour la recherche, l’agriculture, et la distribution ?

CRR. : Le projet de règlement revoit a minima la directive 2001/18. Il ne dispense de cette réglementation qu’une catégorie de plantes transformées par NGT, celle qui est considérée comme équivalente aux végétaux conventionnels. Celle-ci, appelée NGT-1, est exemptée des exigences de la directive 2001/18, tandis que la législation sur les OGM s’appliquera aux autres végétaux NGT-2 qui ne remplissent pas les conditions des NGT-1 [2].

La recherche sur les NGT a été largement bridée en Europe par le manque de perspectives des débouchés. Les groupes internationaux du secteur des biotechnologies agricoles et des semences ont largement délocalisé leurs recherches sur les continents américain (nord et sud) et asiatique ainsi qu’au Royaume-Uni depuis le Brexit !

On peut penser que cette nouvelle réglementation donnera une chance à de petits programmes de recherche limités de s’effectuer sur le sol européen. Ce sera néanmoins important pour la recherche de solutions adaptées aux territoires agricoles de l’Union pour faire face aux agressions d’insectes et maladies  spécifiques, ainsi qu’aux conditions pédologiques et climatiques avec la mise au point de nouvelles variétés améliorées qui ne nécessitent pas des modifications importantes du génome. Il faut par ailleurs souligner qu’en termes de propriété intellectuelle, les députés de la commission ont demandé l’interdiction de dépôt de brevets sur ces variétés obtenues par NGT.

En matière de distribution, il a été voté en commission qu’il n’y aurait pas d’étiquetage obligatoire au niveau des consommateurs pour les végétaux NGT-1, mais que les semences de plantes issues de NGT doivent être étiquetées, et une liste publique en ligne de tous les végétaux NGT-1 sera mise en place. Pour les NGT-2, l’étiquetage obligatoire, y compris des produits, est de rigueur. 

Les députés demandent également que, sept ans après l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation, il soit procédé à une évaluation de la perception sociétale de l’impact des nouvelles techniques génomiques auprès des consommateurs et des producteurs.

On remarquera que la révision réglementaire a exclu les applications animales : la recherche pour améliorer le bien-être animal et la santé animale face aux épizooties, prospérera donc sur les autres continents au détriment de l’élevage européen.

TES. : Cette nouvelle arrive en pleine crise de l’agriculture et cinq mois avant les élections. Pensez-vous que les parlementaires ont entendu les critiques qui leur étaient adressées ? 

CRR. : La crise de l’agriculture en France et dans les autres pays européens est liée notamment au dirigisme réglementaire de l’Union et à la sur-transposition en France, qui s’accompagnent de normes, de procédures exigeantes et de contrôles tâtillons. Si une certaine réglementation est nécessaire car c’est la base de l’Etat de droit pour une vie en harmonie dans une société, il ne faudrait pas que cela devienne un casse-tête pour les citoyens et les producteurs

Des juges militants ou des juristes et des politiques, qui ont souvent des notions scientifiques limitées et baignent dans l’océan médiatique des désinformations orchestrées, s’autorisent à prendre des décisions juridiques infondées. Dans mon livre « Enjeux biotechnologiques », il a été souligné comment le Haut Conseil des Biotechnologies (depuis dissous [2009-2021]), a démontré que la loi 2014-57 était scientifiquement infondée mais politiquement bien manoeuvré [3]. Or cette loi a abouti à l’interdiction des cultures OGM en France en 2014. 

Espérons que le mouvement social actuel permettra de ne « plus marcher sur la tête » ! (slogan du mouvement des agriculteurs de ce mois de janvier 2024.

Références

[1] Regnault-Roger C (2024) Biotech Challenges, Springer Nature, Cham (CHE), 157 pages

https://link.springer.com/book/10.1007/978-3-031-38237-6

[2] Regnault-Roger C (2023) NGT : La Commission européenne pratique le « En même temps » European Scientist, 11.07.23

https://www.europeanscientist.com/fr/opinion/ngt-la-commission-europeenne-pratique-le-en-meme-temps/

[3] Regnault-Roger C (2022) Regnault-Roger C (2022) Enjeux biotechnologiques, des OGM à l’édition du génome, Presses des Mines, Paris, 204 pages https://www.pressesdesmines.com/produit/enjeux-biotechnologiques/