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Communiqués de l'AVF

sur la « nécessité d’évaluer la politique publique ciblant la formation pour enrayer la désertification vétérinaire rurale : première action, le tutorat »

A l’heure d’un questionnement sur l’évolution de la ruralité, il convient d’effectuer

une analyse objective des conditions du maintien des activités professionnelles qui la

sous-tendent, dont les missions des vétérinaires privés et publics

Dans un précédent communiqué (1), l’Académie vétérinaire de France (AVF) a attiré l’attention des pouvoirs publics sur la nécessité de mieux équilibrer les flux d’étudiants dans les filières dans les Ecoles Nationales Vétérinaires (ENV). 

En effet, l’insuffisance d’étudiants dans certaines filières aura de graves conséquences sur les secteurs sensibles que sont la santé publique vétérinaire, la recherche, la protection de la faune sauvage, donc la surveillance de zoonoses et l’équilibre des écosystèmes.

 Les dernières réformes ont exclusivement visé le secteur de l’exercice vétérinaire en milieu rural. Une politique publique a été développée pour enrayer la  « désertification vétérinaire » dans des territoires ruraux et la dégradation du maillage sanitaire. La première action a été l’instauration en 2018 d’un tutorat des étudiants par des praticiens de clientèle rurale, sous supervision d’enseignants-chercheurs. Les autres actions concernent la mise en place en 2021 d’une préparation intégrée dans les ENV, la création en 2022 d’une Ecole vétérinaire privée avec préparation intégrée, l’augmentation progressive du numerus clausus et l’instauration de soutiens financiers par des collectivités territoriales grâce à la loi DADDUE. 

Afin d’apprécier l’efficacité de ces actions, celles-ci doivent être évaluées par un organisme indépendant en vérifiant que les moyens choisis ont permis d'atteindre les objectifs assignés et sans entraîner d’effets collatéraux négatifs. A l’heure d’un questionnement sur l’évolution de la ruralité, il convient d’effectuer une analyse objective des conditions du maintien des activités professionnelles qui la sous-tendent, dont les missions des vétérinaires privés et publics. Compte tenu du fait que les premiers étudiants vétérinaires à en avoir bénéficié depuis 2018 sont désormais diplômés, le tutorat est la première action dont on peut évaluer l’efficience.

 Cette étude d’impact doit répondre à deux questions : 

  • les compétences médicales et le savoir-être sont-ils améliorés chez les diplômés ayant bénéficié d’un tutorat ? 
  •  le tutorat a-t-il significativement amélioré le maillage territorial ? 

 Les analyses documentaires et les auditions par l’AVF ont fait ressortir les aspects positifs du tutorat dans des territoires ruraux : la réassurance des étudiants sur leur exercice pratique, leur attrait pour une méthode de formation plus attractive que la formation académique, l’immersion et le sentiment d’appartenance à un territoire. Ce succès a bénéficié de l’investissement des acteurs de ce dispositif. Mais, selon l’échantillon étudié, le tutorat ne crée pas de « vocation rurale » chez les étudiants mais conforte plutôt une appétence déjà existante pour cette activité et pour le mode de vie inhérent. En effet, les étudiants tutorés sont pré-sélectionés sur leur motivation pour l’exercice rural. Ce constat doit être confirmé par la comparaison des pourcentages d’installation en milieu rural des étudiants tutorés ou non depuis 2018. La majorité des étudiants tutorés recensés a été recrutée par le concours C (titulaires d’un BTS ou d’un DUT). Cette observation doit être confirmée par l’analyse de l’origine académique des étudiants tutorés depuis 2018. Si elle s’avérait statistiquement prouvée, elle suggèrerait que la principale action déterminant l’efficacité de la politique publique serait plutôt la diversification du cursus d’origine des étudiants et non le tutorat en lui-même.

 La réussite du tutorat semble liée : 

  • à la qualité de l’immersion territoriale, 
  • au développement d’un sentiment d’appartenance au territoire 
  • et à la prévention de l’isolement que peut induire cet exercice professionnel. 

En conséquence, le dossier d’agrément des établissements vétérinaires tuteurs doit être étayé par des éléments garantissant que le tutorat proposé ne sera pas uniquement technique et ne dérivera pas vers une utilisation de «main d’œuvre» . 

Ainsi, 

  • le tutorat doit être réalisé au sein d’une équipe et non par un seul encadrant, - 
  • la structure d’accueil doit apporter des garanties sur son aide à l’obtention d’un logement pour l’étudiant, condition essentielle d’attractivité, -
  • la structure d’accueil doit apporter des garanties sur l’insertion au sein d’un territoire rural, tout en luttant contre l’isolement. 

Au-delà du tutorat, les autres mesures mises en œuvre (préparation intégrée dans les ENV, création d’une Ecole vétérinaire privée avec préparation intégrée, augmentation du numerus clausus, utilisation de la loi DADDUE) doivent aussi faire l’objet d’une étude d’impact à partir de 2028. Lors de ces évaluations, il sera aussi légitime d’analyser si ces éléments de politique publique, notamment la création de nouvelles écoles, n’entrainent pas d’effets collatéraux sur les autres secteurs déficitaires de la profession vétérinaire ( Communiqué AVF 1) et n’ont pas nui aux compétences scientifiques et médicales de la formation des vétérinaires. 

Avant d’obtenir les résultats complets de ces autres évaluations, il convient de respecter une pause avant de prendre le risque d’amplifier indistinctement les actions, dont la création de nouvelles écoles. 

3 En revanche, d’autres actions sont à réactiver. Ainsi, une des façons d’attirer des diplômés vers l’exercice rural pourrait être de renforcer les revenus d’appoint à l’exercice libéral, qui se sont étiolés du fait d’un désengagement de l’Etat. L’attractivité du secteur rural bénéficierait du recrutement systématisé de vétérinaires libéraux contractuels pour assurer l’inspection officielle dans les abattoirs, comme autrefois. Ceci profiterait aux vétérinaires libéraux, pécuniairement et en tant que levier d’insertion dans le territoire. et permettrait de solutionner la grave carence de personnel d’inspection dans les abattoirs, en complément du plan d’aménagement et de modernisation des abattoirs. Ce réarmement revêtirait une importance particulière dans le contexte actuel des questionnements sur la ruralité et plus spécifiquement sur les conditions de la soutenabilité de l’élevage et de la protection sanitaire du consommateur. 

1 : Communiqué de l’AVF « Nécessité de veiller à un meilleur équilibre des flux d’étudiants dans les différentes filières de 5e année dans les Écoles nationales vétérinaires - 16/06/2023