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Vaccination contre les coronavirus : la grande expérience du monde vétérinaire

Bernard Charley, Académie vétérinaire de France,

Jean-Christophe Audonnet, Senior Director, Vaccines R&D, Boehringer Ingelheim Animal Health France

 Un effort mondial de très grande ampleur est en cours pour trouver le plus vite possible et produire en masse des vaccins efficaces contre le SARS-CoV2, effort qui regroupe à la fois des laboratoires de recherche publique, des industries du médicament, des entreprises de biotechnologies. De nombreuses stratégies vaccinales sont dans ce but utilisées et seront évaluées : vaccins classiques inactivés ou atténués, vaccins vectorisés (vecteurs adénovirus, vaccine atténuée, rougeole, grippe ...), vaccins sous-unitaires, vaccins peptidiques, pseudoparticules, vaccins plasmidiques ADN et vaccins ARN... Des bases de données listent ces très nombreux projets en cours. Par exemple :
https://www.raps.org/news-and-articles/news-articles/2020/3/covid-19-vaccine-tracker
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/28081857

Au moment où un tel effort est entrepris, il est utile de rappeler qu'un certain nombre de vaccins vétérinaires, contre plusieurs coronaviroses affectant les animaux domestiques, sont ou ont été commercialisés, parfois depuis déjà de nombreuses années. Ces coronaviroses sont soit à tropisme intestinal (la plupart), soit à tropisme respiratoire (voir Avis ANSES Saisine n° 2020-SA-0037 , et Saif 2004, Koonpaew et al 2019, Saif 2020). Il s'agit notamment de vaccins contre des coronaviroses du chien (virus entéritique CCoV), du porc (virus entéritiques TGEV, PEDV,  ou respiratoire PRCV), des bovins (virus respiratoire BCoV), du chat (péritonite infectieuse féline FIP), du poulet ( bronchite infectieuse IBV) . Ces vaccins utilisent des technologies « pastoriennnes » classiques (qui ont fait leurs preuves) : vaccins inactivés adjuvés pour les mammifères, vaccins atténués très abondamment utilisés et régulièrement mis à jour contre la bronchite infectieuse du poulet (voir Jordan, 2017). En général le pouvoir protecteur de ces vaccins vétérinaires anti coronavirus est de qualité moyenne, mais satisfaisant au niveau d’un population (troupeau ou parquet aviaire).

Il est important de préciser ici que tous ces coronavirus animaux sont spécifiques d'espèce et non transmissibles à l'homme ; par conséquent, leur manipulation en vue de la préparation des vaccins correspondants ne présente aucun danger pour l'homme.

Par ailleurs, de nombreux projets de recherche en cours ou passés, visent à produire et évaluer de nouvelles stratégies vaccinales  contre des coronaviroses animales: vaccins recombinés, sous-unitaires, vectorisés, plasmidiques. Pour plus détails, se rapporter à des revues récentes : Jordan, 2017 ; Gerdts et Zakhartchouk, 2017. Le grand avantage de la recherche en vaccinologie vétérinaire est qu'il est possible d'évaluer rapidement l'effet protecteur d'un candidat vaccin directement dans l'espèce animale cible, vis-à-vis d’une infection expérimentale. Dans le contexte de l'actualité COVID19, il est particulièrement pertinent de citer des recherches récentes de vaccins pour protéger les espèces animales sensibles au MERS : vaccination de camélidés par un vecteur vaccine ou adénovirus exprimant la glycoprotéine S (Haagmans et al, 2016; Alharbi et al, 2019) ; vaccination de lamas par une sous-unité S1 de la glycoprotéine S adjuvée (Rodon et al, 2019).

Bien que la protéine de spicule S des coronavirus soit très immunogène et capable d'induire des anticorps neutralisants, il est important de noter ici, en rapport aux nombreuses recherches en cours pour un vaccin contre le COVID19, que des phénomènes d'immunopathologie avec anticorps facilitants ont été observés dans plusieurs essais de candidats vaccins contre des coronaviroses animales (Saif, 2020). Ce fut notamment le cas chez le chat avec le virus de la péritonite infectieuse féline : des chats vaccinés ont montré des signes cliniques plus marqués après infection que les chats témoins non vaccinés (Corapi et al, 1995 ; Takano et al, 2017). Ce phénomène a aussi été décrit pour le SARS-CoV (Yip et al, 2011 ; Saif, 2020). De même avec le MERS, des anticorps dirigés contre la glycoprotéine S peuvent augmenter l'entrée du virus dans les cellules cibles et, par là-même, accroitre la réplication virale globale chez l’hôte infecté (Wan et al, 2020). Il est donc crucial d’analyser très vite, dans les recherches en cours de candidats vaccins contre le SARS-CoV-2, si ce phénomène immunopathologique est présent ou non.

Quelques références

Avis ANSES relatif à une demande urgente sur certains risques liés au COVID-19, Saisine n° 2020-SA-0037, 9 mars 2020 www.anses.fr/fr/content/les-coronavirus

Jordan B. Vaccination against infectious bronchitis virus: A continuous challenge. Vet Microbiol. 2017;206:137-143.

Gerdts V, Zakhartchouk A. Vaccines for porcine epidemic diarrhea virus and other swine coronaviruses. Vet Microbiol. 2017;206:45-51.

Saif LJ. Animal coronaviruses : lessons for SARS. In : Learning from SARS, Preparing for the next disease outbreak, Knobler S et al, Nation. Acad. Sci., 2004, pp138-149.

Saif LJ, Vaccines for COVID-19: Perspectives, Prospects, and Challenges Based on Candidate SARS, MERS, and Animal Coronavirus Vaccines.  EMJ. 2020;DOI/10.33590/emj/200324

Haagmans B. et al. An orthopoxvirus-based vaccine reduces virus excretion after MERS-CoV infection in dromedary camels. Science. 2016. 6268. 77-81.

Alharbi NK et al, Humoral immunogenicity and Efficacy of a Single Dose of ChAdOx1 MERS Vaccine Candidate in Dromedary Camels. Scientific Reports, 2019, 9:16292 | https://doi.org/10.1038/s41598-019-52730-4

Rodon J et al. Blocking transmission of Middle East respiratory syndrome coronavirus (MERS-CoV) in llamas by vaccination with a recombinant spike protein. Emerging Microbes & Infections. 2019.8. https://doi.org/10.1080/22221751.2019.1685912

Corapi WV, Darteil RJ, Audonnet JC, Chappuis GE, Localization of antigenic sites of the S glycoprotein of feline infectious peritonitis virus involved in neutralization and antibody-dependent enhancement. J. Virol. 1995 (5):2858-62.

Wan Y et al, Molecular Mechanism for Antibody-Dependent Enhancement of Coronavirus Entry. J Virol. 2020 Feb 14;94(5). pii: e02015-19. doi: 10.1128/JVI.02015-19. Print 2020 Feb 14.

Koonpaew S. et al. PEDV and PDCoV Pathogenesis : the interplay between host innate immune responses and porcine enteric coronaviruses. Front. Vet Sci. 2019. 6. 34. https://doi.10.3389/fvets.2019.00034

Yip M et al. Investigation of Antibody Dependent Enhancement (ADE) of SARS-CoV infection and its role on pathogenesis of SARS. BMC Proceedings 2011. 5. Suppl. P80 http://biomedcentral.com/1753-6561/5/S1/P80

Takano T et al. Antibody dependent enhancement of serotype II feline enteric coronavirus infection on primary feline monocytes. Arch. Virol. 2017. 162 3339-3345. https://doi.10.1007/s00705-017-3489-8