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Thierry Lefrançois, Vétérinaire au conseil Scientifique Covid-19, s'exprime dans la presse nationale et vétérinaire

Le Président de la République Emmanuel Macron a entendu le monde vétérinaire qui, depuis le début de l'épidémie, rappelle son expertise en matière de coronavirus, très présents chez les animaux. Le vétérinaire Thierry Lefrançois, spécialiste de l'immunologie, du diagnostic et de l'épidémiologie des maladies infectieuses animales tropicales au Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement), vient de rejoindre le Conseil scientifique Covid-19

Interview dans la Dépêche Vétérinaire N°1563 du 27 février au 5 mars 2021  ici

 

Journal du Dimanche du 28 février 2021

Emmanuel Macron a fini par entendre le monde vétérinaire qui, depuis le début de l'épidémie, rappelle son expertise en matière de coronavirus, très présents chez les animaux. Le vétérinaire Thierry Lefrançois, spécialiste de l'immunologie, du diagnostic et de l'épidémiologie des maladies infectieuses animales tropicales au Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement), vient de rejoindre le Conseil scientifique, désormais composé de 17 experts censés éclairer les décisions politiques pendant la pandémie. Une place qui devrait permettre, espère-t-il, de généraliser l'approche "une seule santé", qui consiste à prendre en compte l'ensemble du vivant - environnement, animaux, humains - dans la prévention et le traitement des pandémies. 

Pourquoi la France a attendu un an avant d'intégrer un vétérinaire au sein du Conseil scientifique, quand d'autres, comme l'Allemagne, l'ont fait depuis le début de l'épidémie? 
Il faut voir la bonne nouvelle : un vétérinaire a intégré le Conseil scientifique, et c'est d'autant plus intéressant aujourd'hui que des questions nouvelles se posent et renforcent l'intérêt d'avoir un spécialiste de la santé animale au sein de cette instance. Une psychiatre et un gériatre ont également rejoint le Conseil, cela permet d'avoir, après un an d'épidémie, des visions décalées et renouvelées, des propositions plus innovantes en termes de tests et de diagnostics. Il faut aller au-delà des mesures de confinement avec lesquelles on ne pourra pas tout gérer. La crise s'est installée et aujourd'hui nous avons la difficulté des variants avec une complexité géographique. C'est le bon moment pour avoir une vision multidisciplinaire de ce qui peut être fait.  

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Les vétérinaires ont l'habitude de penser en termes de population, dans les élevages par exemple

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Que peut apporter l'expertise de la santé animale?  
C'est d'abord une maladie d'origine animale! Les travaux sur son origine exacte et la chaîne de transmission sont essentiels. Ensuite, les spécialistes de la santé animale ont une vraie expertise des coronavirus, le premier a d'ailleurs été découvert par un vétérinaire dans les années 1930 chez la volaille. Le monde vétérinaire est beaucoup plus habitué à gérer des crises sanitaires, comme la grippe aviaire, la maladie de la langue bleue, la vache folle, y compris le contrôle des populations par la vaccination. Les vétérinaires ont l'habitude de penser en termes de population, dans les élevages par exemple. Et dans une phase de gestion de la pandémie, il y a une capacité de mobilisation de diagnostic et de séquençage du monde de la santé animale. J'ai déjà commencé à faire le lien avec les différents laboratoires et les structures existantes qui pourraient venir prêter main forte. On a fait un inventaire et les capacités sont importantes. On a par exemple aujourd'hui des infrastructures de génomique à haut débit dans le domaine de la recherche agronomique qui font du séquençage. D'autres structures disposent aussi des congélateurs nécessaires pour conserver les vaccins ou de capacités diagnostic dans des zones qui n'ont pas ou peu de capacité, dans certains territoires d'outre-mer par exemple.  

Votre expérience personnelle sur les maladies infectieuses animales est aussi un atout…
Oui j'ai travaillé sur la maladie du sommeil, sur les crises d'influenza aviaire, sur différentes maladies émergentes dans les pays du sud. Je veux servir de pont entre ma discipline et la santé humaine, entre les scientifiques et les décideurs. J'ai notamment beaucoup travaillé entre Outre-mer et je connais la spécificité de ces territoires. Au Conseil scientifique, nous préparons d'ailleurs un prochain avis sur la situation dans les départements et collectivités d'outre-mer. Il faut prendre en compte leurs infrastructures spécifiques. Ils n'ont par ailleurs pas les mêmes capacités de diagnostic de séquençage ou de ressources humaines. Les structures de populations sont complètement différentes, avec une proportion de population fragile beaucoup plus importante. Il faut faire des recommandations adaptées à ces territoires et non calquées sur les recommandations faites en métropole.  

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On ne peut pas se poser des questions sur la santé humaine sans interroger l'environnement, l'agriculture et la santé animale

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Votre place au sein du Conseil scientifique va-t-elle aussi faire avancer le concept "une seule santé"?
Oui c'est une reconnaissance du concept "One Health". On ne peut pas se poser des questions sur la santé humaine sans interroger l'environnement, l'agriculture et la santé animale. Cette approche, défendue par les organisations internationales, existe depuis des dizaines d'années dans le domaine scientifique, mais a encore du mal à être traduite dans le domaine institutionnel, politique et pratique. Avec le Covid-19, où sont identifiés les liens entre émergence du virus et atteintes à la biodiversité, les choses commencent à bouger. On ne pourra plus faire comme avant, comme si tout n'était pas lié. On sait très bien que l'action de l'homme, les élevages intensifs, la mondialisation des échanges, la déforestation, le traitement des sols avec des intrants ont des conséquences sur la santé d'un territoire, que ce soit la santé humaine ou animale, elles-mêmes liées. J'espère que la crise va permettre de développer cette approche intégrée.  

Y a-t-il une méfiance de la médecine humaine par rapport à la médecine animale?  
Il y a très longtemps, les deux allaient de pair. Puis, l'homme, par présomption, a cru qu'il allait pouvoir contrôler toutes les maladies. Les avancées en microbiologie qui ont permis d'identifier les rapports entre un pathogène et une maladie, ont laissé penser qu'on règlerait tout avec des traitements et des vaccins. On s'est focalisé sur la maladie elle-même et non sur l'environnement global.  

La France est-elle en retard sur cette approche intégrée?  
On est en train de réaliser qu'il faut avancer. Plusieurs initiatives sont en cours. Au Forum de la paix, en novembre dernier, a ainsi été annoncée la création d'un haut conseil "Une seule santé", une sorte de conseil scientifique international avec des experts qui vont travailler sur cette approche intégrée. C'est une initiative française, soutenue par les Allemands. L'instance sera effective en mai, lors de l'assemblée générale de l'OMS. Puis, lors du One Planet Summit à Paris le 11 janvier, une autre initiative "Prezode" a été lancée pour lier les questions de biodiversité et de santé dans le but de prévenir les prochaines pandémies. Ça doit permettre de travailler sur la prévention et de développer des écosystèmes peu favorables aux émergences de maladie.  

C'est-à-dire?
Il faut s'interroger : qu'est-ce que c'est un territoire en bonne santé? Quels sont les facteurs de risque qui favorisent l'émergence d'une maladie? Les réponses sont multiples : le braconnage, la déforestation, l'utilisation abusive de pesticides… Il faut qu'on travaille en amont si on veut éviter que ces crises ne se répète et si on veut développer un modèle sanitaire et social durable. Il faut construire des systèmes tournés vers l'avenir.  

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J'ai pu m'exprimer sans qu'on me regarde de travers parce que je suis vétérinaire

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Des prochaines pandémies sont-elles aussi inévitables qu'on le dit?
Il va y avoir d'autres pandémies. L'histoire nous montre que la fréquence des maladies infectieuses augmente. Il faut être capable de se préparer aux prochaines pandémies en développant des systèmes de santé plus résilients, plus efficaces pour détecter rapidement de nouvelles émergences et prendre des mesures pour limiter la propagation. Mais ça ne suffira pas. Il faut agir en amont, limiter les facteurs négatifs, prévenir. Aujourd'hui, et c'est normal, tout le monde se focalise sur la gestion de la crise. Mais il faut s'interroger sur l'après et sur la façon dont on veut gérer collectivement la santé, les territoires, l'alimentation, les modes de vie, les aspects sociaux ; aux niveaux national et international.  

Vous avez officiellement été nommé le 16 février, mais vous participez au Conseil scientifique depuis le début de l'année. Quelles sont vos impressions?
C'est une structure d'intelligence collective où chaque expert apporte son point de vue. J'ai pu m'exprimer sans qu'on me regarde de travers parce que je suis vétérinaire. Les discussions sont assez libres, on partage nos réseaux, nos connaissances, on s'interroge, on va chercher les informations scientifiques quand on n'a pas les réponses. Les membres du Conseil ne sont pas omniscients, ce sont des experts dans différentes disciplines.  

Certains sujets ont fait débat au sein du Conseil, comme l'isolement des personnes âgées. Qu'en est-il?
Heureusement qu'il y a des points de vue différents au sein du Conseil! D'ailleurs, ceux-ci sont mêmes indiqués sur certains avis, quand on n'est pas arrivé à un consensus. Quant au sujet de l'auto-isolement des personnes âgées, il s'agissait d'une publication scientifique de certains membres du Conseil au titre de leurs recherches personnelles et non au titre de l'instance. Et puis sincèrement, on s'intéresse au fond, pas à la forme.

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Nous avons l'habitude d'agir très rapidement et à un niveau très local. Mais ce n'est clairement pas reproductible en santé humaine

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Regrettez-vous le fait que les avis du Conseil ne soient pas publiés automatiquement par le gouvernement?
C'est la répartition du travail : on élabore des analyses et des conseils, on les fournit au gouvernement et lui décide en fonction de plein d'autres facteurs.  

Que pensez-vous de la stratégie locale choisie par le gouvernement? Est-ce quelque chose que l'on observe en médecine animale?  
La stratégie locale a prouvé son utilité dans la gestion de crises précédentes, dans le domaine de la santé animale aussi, mais cela ne veut pas dire que cela peut être calqué. En médecine animale, quand une ferme est infectée, on installe tout de suite un périmètre de trois kilomètres pour fermer totalement les accès. Ensuite, on installe un périmètre plus large de surveillance. Nous avons l'habitude d'agir très rapidement et à un niveau très local. Mais ce n'est clairement pas reproductible en santé humaine.  

Comme en santé animale, doit-on aider à freiner l'épidémie dans les pays en développement?
Déjà, à l'échelle de l'Europe, il faudrait une stratégie commune sur les décisions de confinement et sur la vaccination. A l'international, il faut évidemment être solidaires. Plus on laissera circuler le virus, plus il se maintiendra, plus on aura à faire à d'autres variants, etc. Ce n'est pas le moment d'être égoïstes!